Il n’y a pas très longtemps, notre pays enregistrait un surplus de production de lait. Comme par hasard, le voilà qui peine aujourd’hui à satisfaire sa propre consommation. Ce qui se passe, en réalité, n’est que le résultat d’une politique de destruction de la filière. Depuis plusieurs mois, le Tunisien éprouve toutes les difficultés du monde pour se procurer un paquet de lait. Les divers responsables ne cessent de nous affirmer que les quantités de lait sont suffisantes et que l’approvisionnement se fait de façon normale.
Dans la réalité, il en est tout à fait autrement. Ce produit est introuvable comme d’ailleurs d’autres produits tels que l’huile, le sucre, etc.
Le citoyen ne croit plus ce qu’on lui débite à longueur de journée, tellement les propos sont en contradiction avec ce qu’il endure quotidiennement.
1.6 million de litres par jour
S’agissant du lait particulièrement, c’est devenu un vrai casse-tête. Si on veut se le procurer, on doit pointer, tôt le matin, devant un espace commercial en attendant l’arrivée du camion qui livre le stock quotidien de cette matière. Ensuite, c’est la ruée vers les rayons du magasin qui sont vidés en quelques minutes.
Il s’avère que c’est là que réside l’un des problèmes de la crise. Ces gens qui s’attroupent chaque matin devant les différentes enseignes commerciales ne sont pas de simples consommateurs comme vous et moi. Parmi eux, on trouve des groupes qui se relaient pour acquérir le maximum de paquets. Ils refont le même manège dans plusieurs points à la fois. Ce sont, généralement, des cafetiers, des pâtissiers ou d’autres profiteurs qui veulent exploiter cette pénurie pour gagner de l’argent.
A l’humiliation des attentes et des attroupements devant les points de vente s’ajoutent les files d’attente devant les caisses.
Aux dires des responsables du secteur du lait, la Tunisie consomme près de 1.6 million de litres par jour. Les 12.000 producteurs ne mettent sur le marché que 1.3 million. La différence est puisée dans ce qu’on appelle le stock stratégique. Celui-ci était d’environ 40 millions de litres du temps où le secteur était en bonne santé. Actuellement, il ne serait que de 7 millions. Cela ne rassure en rien le consommateur. Ces chiffres ne collent pas. La pénurie est là bien réelle. Des familles entières sont privées de lait.
Lors de sa visite à une centrale laitière installée dans le Cap Bon, le Chef de l’Etat a rappelé que ces pénuries sont provoquées par le système spéculatif. Il a constaté que la production est normale et peut suffire aux besoins des consommateurs.
Malheureusement, il faut se rendre à l’évidence que les approvisionnements des points de vente ne se font plus comme avant. Les commerçants concernés affirment qu’on ne leur livre plus que la moitié de la quantité. La régularité de ces fréquences de livraison n’est pas garantie. Des pratiques illicites viennent aggraver la situation. C’est le cas, par exemple, de la vente conditionnée ou au pif par les épiciers ou les «hammassas» (qui se sont mis de la partie).
Le citoyen ordinaire n’est pas pour autant exempt. Il a sa part dans ce désordre. En effet, chacun adopte une attitude quelque peu égoïste et ne cherche pas à savoir si son comportement peut nuire aux autres. Dès que l’occasion se présente, il achète la plus grande quantité de lait disponible. Même si cette attitude n’est pas recommandée, elle s’explique par la peur de manquer de ce produit.
Inonder le marché
En tout cas, ce qu’on peut dire c’est qu’il y a un vrai décalage entre ce que vit le Tunisien au quotidien et les déclarations des officiels ou de certains professionnels.
Le diagnostic a été établi depuis plusieurs années. La filière laitière est bel et bien en péril. Aujourd’hui, la menace est concrète. C’est ce que beaucoup de professionnels essaient de démontrer pour inciter les autorités à s’acquitter de leur devoir.
Sans pour autant chercher à blanchir les autorités, il faut, toutefois, admettre que certaines des exigences de ces professionnels sont parfois irréalistes.
Une porte de sortie, pourtant, existe. Jusqu’ici, on n’a pas l’impression que les choses bougent dans le bon sens. Des propositions d’augmentation du prix du litre de lait sont faites de part et d’autre. L’Etat a déjà consenti le 13 novembre dernier une hausse de 200 millimes au profit du producteur alors que les attentes sont aux alentours de 600 millimes.
Il faut admettre que de telles mesures sont nécessaires pour la pérennité de la filière. Celle-ci, faut-il le souligner, fait vivre des millions de personnes. En effet, on estime qu’il y a environ 1.2 million de familles qui vivent, aujourd’hui, de l’élevage. 400.000 vaches laitières constituent le cheptel. Ce dernier est menacé par le trafic. De nombreuses bêtes sont vendues aux pays voisins parce que les éleveurs se disent incapables de soutenir le rythme des augmentations incessantes des fourrages et des autres produits. Ils se plaignent des coûts de production qui sont de plus en plus élevés. Il n’y a d’autre solution pour redresser la filière laitière que de parvenir à un terrain d’entente entre les autorités officielles et les divers intervenants. Car, il ne faut pas minimiser les répercussions économiques et sociales en l’absence d’accord ou de l’adoption de mesures unilatérales.
L’Etat est obligé d’intervenir et de peser de tout son poids s’il tient vraiment à ce secteur stratégique. De leur côté, les professionnels seraient plus inspirés s’ils introduisent plus de souplesse et de réalisme dans leurs revendications.
Dans tous les cas, on sait que celui qui va payer n’est autre que le consommateur. Il casque déjà chaque fois qu’il passe devant la caisse pour payer les deux précieux paquets de lait qu’il a pu « arracher » à la foule qui a pris d’assaut le pavillon réservé au lait. Ainsi donc, il doit ajouter au prix des deux paquets la taxe de 100 millimes prélevée à chaque passage à la caisse dans les grandes surfaces.
Dans l’attente d’une solution radicale à la crise, d’aucuns préconisent de doubler les quantités de lait injectées quotidiennement sur le marché voire inonder le marché !
Ce serait un moyen de couper l’herbe sous les pieds des spéculateurs et rétablir progressivement la situation d’avant ce fléau des pénuries.